Jacques Martin fait ses débuts à la télévision en 1959, à l’âge de 26 ans - débuts discrets puisqu’il travaille pour l’antenne régionale de Strasbourg. Il faudra attendre 1968, après une carrière sur les planches et à la radio, pour que la France entière découvre ce touche-à-tout impertinent. Cette année-là, en effet, la première chaîne de l’ORTF lui laisse carte blanche pour lancer l’émission Midi Magazine qu’il co-présente avec Danièle Gilbert. Mais la gloire ne sera vraiment au rendez-vous qu’en 1975, lorsque Jacques aura la louable idée d’apporter une bouffée de satire irrévérencieuse à la France nouvellement giscardienne, en créant Le Petit Rapporteur sur la toute jeune TF1 née de l’éclatement de l’ORTF.
Cette émission est célèbre pour ses reportages aussi inattendus qu’hilarants (Daniel Prévost au village de Montcuq, découverte de la province pittoresque par Pierre Bonte...), les débuts d’humoriste de Collaro, les interviews décalées (Françoise Sagan par Pierre Desproges), les dessins de Piem et, n’oublions pas, les chansons qui ont failli détrôner notre hymne national : La Pêche aux moules et Mam’zelle Angèle.

En 1977, Antenne 2 lui confie ses dimanches après-midi. Il produit, dirige et anime Bon dimanche, une succession d’émissions drôles, culturelles ou familiales. Souvent les trois à la fois ! Malgré un succès télévisuel certain, Jacques Martin n’hésite pas à quitter la télévision dès 1978 pour retourner à ses premières amours : l’opéra et le théâtre. Sans oublier sa participation remarquable pendant de nombreuses années aux Grosses Têtes de Philippe Bouvard, sur la radio RTL, avec son complice Jean Yanne. Il revient, toujours sur Antenne 2, à la rentrée de 1980. Il rebaptise Bon dimanche en Dimanche Martin et c’est parti pour dix-huit ans de popularité jamais démentie par les fidèles téléspectateurs de ses émissions !

Cette carrière exceptionnelle s’achève en deux temps dramatiques. Début 1998, la présidence d’Antenne 2, devenue France 2, lui annonce que son contrat ne sera pas renouvelé : il faut faire face à TF1 qui, année après année, depuis 1987, fait de l’audience en sombrant dans la démagogie et le mauvais goût. Les émissions de Jacques Martin ne sont plus dans l’air du temps, puisque qu’elles ne brossent pas une majorité de téléspectateurs dans le sens du poil ! En mars 1998, un accident vasculaire terrasse Jacques qui se retrouve à demi paralysé. C’est son ami, le regretté Jean-Claude Brialy qui assurera alors les dernières semaines de Dimanche Martin.
Dès lors, les apparitions de Jacques Martin se font rares à la télévision et à la radio. Il faut dire que beaucoup de gens du métier l’ont oublié après sa « chute », une ingratitude qui fait peine à voir et donne une idée des coulisses de la télévision d’aujourd’hui. Parmi les figures actuelles du petit écran, seul Laurent Ruquier a fait preuve de mémoire envers celui qui lui a donné sa chance, notamment en lui proposant une place de chroniqueur dans son émission On va s'gêner sur Europe 1. Puis, le vendredi 14 septembre 2007, Jacques Martin s’en est allé divertir les Saints, sous leurs applaudissements.
BON DIMANCHE / DIMANCHE MARTIN : les émissions
Les programmes qui composèrent les journées dominicales d’Antenne 2 (puis France 2) furent nombreux, puisque Jacques Martin les renouvelait régulièrement. En voici quelques uns, parmi les plus marquants.
En 1977, l’équipe du Petit Rapporteur se reforme pour créer La Lorgnette, émission qui passe au crible l’actualité et la façon dont la presse l’évoque. Son but : découvrir ce qu’il se passe dans les coulisses du pouvoir, en regardant... par le petit trou de la lorgnette !
Dessine-moi un mouton est une émission réalisée en collaboration avec Véronique Siney et Dirk Sanders. Réunis dans une salle de jeux où sont camouflés micros et caméras, des enfants jouent, chantent et s'expriment librement dans des jeux inattendus et variés, laissant libre cours à leur imagination.
Toujours en pensant aux enfants, Jacques Martin a la judicieuse inspiration d’inventer la seule émission qui perdurera jusqu’en juin 1998 ! Je parle, évidemment, de L’Ecole des fans. Chaque dimanche, Jacques recevait un chanteur et proposait à des enfants d’interpréter sur scène, au fameux théâtre de l’Empire, une chanson de son répertoire. Se sont succédés sur le plateau : Françoise Hardy, Philippe Chatel, Dorothée, Chantal Goya, Adamo, Linda de Suza, Gérard Lenorman, Dave, Douchka, Carlos, Louis Chédid, Annie Cordy, Serge Lama, Pierre Perret et bien d’autres. Chanteurs et chanteuses arrivaient avec les bras chargés de cadeaux pour les enfants. De quoi donner envie d’aller chanter à la télé ! Mais ce qui amusait le plus, c’était ces dialogues que Jacques Martin savait si bien ouvrir avec les gamins dont les réponses auraient parfois fait pendre père et mère !

Entrez, les artistes présentait l’actualité culturelle. Opéra, music-hall, cinéma, ballets, concerts, théâtre, rien n’était oublié par Jacques Martin et son équipe. On avait même droit à un petit dessin animé de Tex Avery ou de Tom et Jerry au milieu de tout ce panorama ! Comme sur un plateau, du même tonneau, mais dans un décor de cuisine, en compagnie de la journaliste Claude Sarraute et de David Martin, succédera à cette émission.
© Croizard/Télé 7 jours
Dans Incroyable mais vrai, Jacques Martin nous proposait chaque semaine une dizaine d’exploits incroyables (le type que tire une 2 chevaux à la force de ses mâchoires, par exemple). Il s’était inspiré de l’émission américaine That’s incredible, dont il reprenait quelques séquences de temps à autre.
Les Voyageurs de l’histoire était l’une de mes émissions préférées quand j’étais môme. Jacques Martin entraînait avec lui des enfants, dans sa machine à voyager dans le temps, l'Histronef, afin de rencontrer en chair et en os les grands personnages de l’Histoire de France. C’était parfois un peu dangereux quand ils débarquaient, par exemple, en 1515, à Marignan, au milieu d’une certaine bataille !
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Thé dansant, je dois l’avouer, n’avait pas mes faveurs. Aujourd’hui, je me rends compte que cette émission avait le mérite d’exister puisqu’elle était consacrée à la chanson française d’avant les années 60, portion de notre culture nationale qui avait déjà du mal à survivre à l’époque. Thé tango reprendra un temps le créneau de cette émission.
Si j’ai bonne mémoire était une émission-jeu. Jacques Martin interrogeait trois candidats sur l’actualité contemporaine à leur parcours personnel. Autrement dit, quelqu’un né en 1944 ne pouvait être interrogés que sur un événement postérieur à cette année-là. Le prix à gagner était souvent un voyage de rêve dans une contrée lointaine.
© Letellier/Télé 7 jours
Le Kiosque à musique proposait un programme de musique symphonique et d’opéra. J’y ai découvert pour la première fois Brahms et Rossini.
La musique, incorrectement appelée « classique » était également présente, mêlée aux variétés, dans Tout le monde le sait. Une des rares émissions où la Compagnie Créole côtoyait l’orchestre de chambre du conservatoire d’Aulnay-sous-bois !
En 1990, Jacques Martin souhaite relancer Le Petit Rapporteur. Il décide d’engager Laurent Ruquier après avoir lu quelques-uns uns de ses textes. A eux deux, ils commencent alors Ainsi font, font, font. Laurent Gerra, Virginie Lemoine, Jacques Ramade et Laurent Baffie les rejoindront plus tard. En fait, loin du Petit Rapporteur ou même de La Lorgnette, l’humour de cette émission se veut un peu archaïque. Son public sera celui de Thé dansant, qui se montre réceptif à cet humour chansonnier très démodé.
Le Monde est à vous, émission-phare du Dimanche Martin des années 90, était un savant mélange de Comme sur un plateau et de Si j’ai bonne mémoire. Extraits de spectacles sur grand écran, variétés et musique symphonique sur la scène du Théâtre de l’Empire servaient de supports aux questions que Jacques Martin adressait aux candidats. L’émission servait aussi de vitrine à Antenne 2 et FR3, puisque les extraits proposés provenaient de programmes dont la diffusion était à venir. C’est ainsi que Jacques nous livrait un aperçu de La Dernière Séance d’Eddy Mitchell ou du Cinéma de Minuit en diffusant des extraits de films classiques que nous pouvions retrouver intégralement la semaine suivante. Le cadeau à la clef pour le candidat vainqueur ? Un voyage de rêve à l’autre bout du monde !
QUELQUES FIGURES EMBLEMATIQUES DE LA PETITE LUCARNE SE SOUVIENNENT...
Philippe Bouvard, animateur du Petit Théâtre de Bouvard et des Grosses Têtes (pour Ici Paris, septembre 2007)
« Jacques Martin était un artiste complet. Il savait tout faire et avait tous les dons : il savait danser, faire des claquettes, jouer la comédie, chanter, écrire... C'était le roi de l'improvisation. Je me demande ce qu'il ne savait pas faire. Il ne savait pas être heureux. Jacques Martin était au-delà de la télévision : il appartient à l'histoire du spectacle. Jacques Martin, c'était une impertinence totale, une grande imagination. Il a inventé des concepts d'émissions. C'est très rare. La preuve, aujourd'hui, on va chercher nos concepts à l'étranger. »
Stéphane Collaro, animateur de Cocoboy, Collaro show, Cocoricocoboy et autres coco (pour Le Parisien du 15/09/2007)
« Il m’a mis le pied à l’étrier en me faisant quitter le service des sports pour participer au Petit Rapporteur [...]. C’était un mélange de reportages insolents et très fins avec des chansons vaseuses, des plaisanteries de garçon de bains, des choses débiles mais à mourir de rire. Jacques était un improvisateur brillantissime en direct. En privé, il pouvait passer de la joie de vivre la plus totale à une déprime radicale. Il était trop doué pour trop de choses. Quand France 2 l’a viré, d’une manière pas très élégante, il était assez aigri. Je lui disais de remonter sur scène, d’écrire des pièces de théâtre. Et puis, il a eu son attaque. »
Danièle Evenou, comédienne, ex-épouse de Jacques Martin (pour France Info, septembre 2007)
« Nous avons eu des soirées de rires, de fous rires. Il était assez invivable, il faut le reconnaître, mais qu'est-ce qu'on a ri ! C'était un homme qu'il fallait suivre avec un papier et un crayon en permanence parce qu'il avait 3000 idées à la seconde. Il avait un regret, il aurait voulu être Gene Kelly, il aurait voulu être Pavarotti... La musique était quand même la chose la plus importante dans sa vie avec les livres. Il n'avait pas de bureau à l'époque du Petit Rapporteur, il n'en voulait pas. Tout se faisait à la maison à 11 heures du matin, autour d'un petit bouchon lyonnais. Pierre Desproges, Daniel Prévost et toutes les idées se retrouvaient autour de la cuisine qui était aussi sa grande, grande passion. »
Danièle Gilbert, présentatrice de Midi-Première (pour Le Parisien du 15/09/2007)
« C’est en présentant Midi-Magazine avec Jacques Martin que je suis devenue connue. C’était un type génial, novateur, cultivé. Chaque jour, au moment du direct, je me demandais ce qu’il allait encore inventer. Il s’inspirait de l’actualité, il avait une idée à la seconde. C’est ainsi qu’il m’a surnommée la "Grande Duduche" à l’antenne après avoir reçu la BD de Cabu ! Cela m’a amusé et c’est resté... Il ne parlait pas d’audimat mais du public, qu’il aimait et respectait. Il voulait séduire et était exigeant. Tout ce que je peux connaître de ce métier, je le lui dois. »
Daniel Prévost, comédien et présentateur déjanté de l’émission-jeu Anagramme (pour Le Parisien du 15/09/2007)
« On s’est rencontrés, il y a une quarantaine d’années, au théâtre et on s’est retrouvés ensuite à RTL, dans Le Petit Rapporteur, des choses comme ça... C’était un grand animateur et, en même temps, quelqu’un d’extrêmement cultivé. Il était très calé en musique, chantait lui-même du classique, il était doué en tout et aurait pu lui-même axer sa carrière dans beaucoup de domaines. Il a même fait une émission sur la psychanalyse avec les enfants... Il avait beaucoup d’imagination, d’idées, un sens de l’improvisation. C’était un vrai artiste, et un écorché aussi. [...] »